Depuis février 2024 , SoHab mène une recherche-action à la Résidence Pâturage à Neder-Over-Hembeek afin de tester la création des espaces communs au sein des logements locatifs à finalité sociale. Un bilan d’étape par Paula Uglione.

Faire émerger une nouvelle écologie sociale par la création de lieux où les personnes se retrouvent moins isolées, plus créatives, plus coopératives et plus actrices de leur vie au quotidien – ceci est l’une des ambitions du modèle COLISO². Pour la réaliser au sein de la résidence Pâturage, SoHab a testé, pendant un an, de transformer un appartement du rez-de-chaussée en un espace commun et communautaire à la disposition des 28 résidentes et résidents, et ouvert également au quartier.

Les questions de départs d’une occupation commune et communautaire

Une telle occupation soulève un certain nombre d’interrogations, en particulier :

• Qu’est-ce qui rend un espace véritablement collectif ?
• Quels sont les éléments de tissage d’un espace communautaire ? Quelles conditions humaines, matérielles et financières doivent être remplies pour qu’un local bâti pour être un foyer unifamilial devienne un espace communautaire à partager ?
• Qui sont les protagonistes de ce changement ?
• Quels sont les chemins et les outils qui le permettent ?
• Quelles sont les tensions du point de vue interactionnel, juridique, moral et sociétal qui émergent de cette démarche de (dé)construction ?
• Quels sont les avantages, les enjeux et les limites d’un tel déplacement des cadres habituels ?

L’objectif général de la recherche-action était de creuser ces interrogations. Plus précisément, elle visait à présenter un « portrait » des conditions favorables et/ou défavorables à une occupation commune et communautaire de l’appartement au r.-de-ch., constitué de trois éléments :

1. Les résidents ont-ils une histoire et des traits psychosociaux et culturels qui favorisent leur intégration à des dynamiques collectives, participatives et solidaires ? S’engageraient-ils dans une occupation partagée, autosuffisante et autogérée du local ? Dans l’affirmative, quelles formes de sociabilités y imaginent-ils ?
2. Les caractéristiques du local en matière d’infrastructure, de localisation, de spatialité et d’atmosphère sont-elles propices à une occupation commune et communautaire (différent d’un foyer domestique) ?
3. Le micro-quartier est-il demandeur et réceptif à la création d’un espace communautaire dans son périmètre ?

Etape 1 : Approche immersive via des rencontres informelles

Entre février et juillet 2024, une approche immersive a donné lieu à des rencontres non contractualisées entre la chargée de mission COLISO² et les résidentes et résidents. Les espaces de circulation de la résidence tels que les couloirs et les escaliers intérieurs et le parking vélos sont devenus des points de rencontre, où de brèves discussions ont pu être entamées d’une façon spontanée.

La porte d’entrée du r.-de-ch. est restée ouverte à ces occasions, afin de stimuler la curiosité des résidentes et résidents pour cet espace qui, jusqu’alors, était perçu comme un appartement à usage privé et domestique.

Ces rencontres informelles ont permis de discuter de la vie quotidienne et des habitudes de certaines et certains, les plus réceptifs, et ont donné lieu à des pistes d’événements/actions susceptibles de les intéresser en vue d’une occupation collective du r.-de-ch.

Etape 2 : Approche d’expérimentation via un laboratoire de collectivités

Un laboratoire de collectivités est mis en place au r.-de-ch., sur la base de ces pistes. Il s’agissait d’une série d’événements et d’activités organisées en concertation ou en co-organisation avec les résidents dans le but de faire expérimenter concrètement une occupation collective et communautaire de l’espace.

Sur les 11 foyers de la résidence Pâturage occupés par des locataires, huit ont participé au moins une fois aux actions promues au r.-de-ch. dans le cadre du laboratoire des collectivités. Toutes les réunions/événements au r.-de-ch. ont été marquées par la politesse, la joie, l’amusement et la collaboration entre toutes et tous.

Les premiers résultats :

A – Démarche collective d’aménagement du local

Un groupe de quatre foyers ont manifesté de l’intérêt pour l’occupation collective du local, notamment à des fins festives et pour des activités ludiques pour les enfants. Parmi les personnes de ce groupe, une résidente s’est fort investie dans l’organisation et la mise en place d’actions de socialisation dans le local. Une autre était très disposée à partager son histoire et à demander le soutien des autres, par exemple, pour faire des achats en ligne. À l’exception d’une personne, tous les résidents ont généralement eu une attitude respectueuse et même de confiance à l’égard de la chargée de mission.

En novembre 2024, une démarche collective d’aménagement du local a été entamée afin de créer une atmosphère plus accueillante pour les occupants. Une fête d’anniversaire réunissant adultes et enfants de la résidence marque l’inauguration de la salle polyvalente aménagée.

B – Usage communautaire via une occupation temporaire du terrain vert

Une activité intergénérationnelle ouverte au quartier, réalisée en juillet, a été accueillie comme très positive par les locataires de Pâturage.  Elle a suscité l’intérêt de plusieurs personnes dans le micro-quartier et a été reçue avec enthousiasme par les associations locales.

En août 2024, un accord a été signé entre la ville de Bruxelles et SoHab pour l’occupation temporaire du terrain vert devant la Résidence Pâturage. Une approche d’expérimentation est également mise en œuvre sur le terrain afin de tester son potentiel en tant qu’espace communautaire : des marches exploratoires sont organisées et des objets artisanaux sont produits à partir d’éléments trouvés sur le terrain.

En décembre 2024, le terrain d’en face a été aménagé par SoHab. Un nouveau lieu se dessine au cœur du quartier, formé par l’espace commun de la résidence Pâturage, l’espace vert désormais prêt pour un usage communautaire et la rue qui accueille des initiatives de proximité, comme la fête des voisins, organisée chaque année par les habitants du micro-quartier.

Bilan positif : conditions favorables à une occupation commune

Une collectivité est le résultat d’un processus d’attachement et d’identification réciproque qui reste volatile. La présence de conditions favorables ne garantit ni l’émergence d’une collectivité, ni sa pérennité. Il faut faire en sorte qu’elles se rencontrent et se renforcent.

La recherche menée au sein du Coliso² Pâturage indique qu’il existe des conditions favorables très importantes à une occupation du rez-de-chaussée de la résidence en tant qu’espace à vocation collective.

• Concernant les résidentes et résidents : un réseau de voisinage, une attitude respectueuse et amicale, la proactivité de certains résidentes et résidents, la motivation des enfants par les activités culturelles (lecture et arts), l’attachement des adultes à leurs appartements et à la Résidence ;
• Concernant le local/rez-de-chaussée : la localisation dans la résidence (vis-à-vis la circulation interne), un séjour spacieux et lumineux, trois espaces indépendants : le grand séjour et deux autres salles (chambres à coucher), un balcon qui relie la propriété à la rue, une cuisine ouverte sur le séjour, idéale pour la convivialité ;
• Concernant le micro-quartier : l’atmosphère paisible et accueillante, le grande valeur esthétique de l’immeuble (résidence) aux yeux du voisinage, des infrastructures commerciales et sociales insuffisantes, l’ouverture de la part des acteurs de l’aide sociale, l’accueil chaleureux des voisins, initiatives citoyennes locales (fête de rue).

Les quelques conditions défavorables sont, pour leur part, beaucoup moins conséquentes.

L’ensemble de ces conditions ont permis à SoHab de dire : oui ! le rez-de-chaussée de la résidence Pâturage a le potentiel de favoriser et d’héberger une occupation commune. Il était donc temps d’avancer en renforçant les conditions d’une telle occupation commune, mais qui devra être idéalement durable et sous une gouvernance proactive et participative de ses occupants.

Ainsi, un paysage de vie communautaire se dévoile à la croisée d’espaces qui invitent et permettent aux personnes de se rencontrer et de se mélanger. Les conditions de vie collective y sont présentes et actives, et la solidarité qui en découle est ressentie par ces acteurs. Une nouvelle écologie sociale émerge au carrefour de la rue du Molenbeek et de la rue du Pâturage à Bruxelles.